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MIGRATIONS - 1995

Écrit et mis en scène par Kazem SHAHRYARI

à L’Art Studio Théâtre - PARIS

jusqu’au 2 décembre 1995


Nous sommes dans le nord de la France en milieu ouvrier. Deux êtres se retrouvent. L’un, le frère, n’a jamais quitté la maison familiale ; il y demeure, sécurisé par le carcan des habitudes. L’autre, la soeur, la mauvaise fille, revient après quinze ans. L’enfant prodigue ne souhaite pas revoir le père, simplement elle vient chercher sa part. S’engage alors un dialogue entre Albertus et Hester, dialogue de violence feutrée, d’éclats de voix chuchotés car, selon Albertus, il ne faut pas réveiller le père qui dort dans la chambre voisine. Commence une cérémonie étrange, et qui est toute la pièce, où seront ramenés de la chambre paternelle toutes les boîtes et les effets où peut être caché l’argent. Ce que le frère veut ignorer tout en succombant à sa fièvre.

Jusqu’où pourront-ils aller dans la litanie des remords et des regrets ? Quelle différence, à terme, entre le fils soumis et culpabilisé et la fille de « mauvaise vie » partie rejoindre l’anonymat de la ville et de ses rencontres ?

La pièce de Kazem SHAHRYARI « ALLER/RETOUR », sait trouver les mots ordinaires et crus de ce huis clos : « Il y a sans doute autre chose que l’on a jamais eu. » Mais sans cacher la violence de la confrontation et singulièrement celle, vengeresse, de la soeur qui a « essayé d’être heureuse ».

Il est vrai qu’ici K. SHAHRYARI n’est pas seulement auteur mais metteur en scène. Il lui appartient de rendre visible cette rage, cette impuissance. En Iran, son pays d’origine, il a monté de nombreuses pièces, de Sophocle à Shakespeare et Brecht. Exilé en France, il a dirigé pendant quatre ans un atelier de travail au théâtre des Cinquante (chez A. Voutsinas). Depuis 1987, il dirige l’ART STUDIO THEATRE où il a mis en scène, voici quelques mois, « La Contre-Expertise d’un Conte » profond mélange de Brecht et de lyrique kurde. Il y cultive une économie de moyens (Scandée par des musiciens kurdes au captivant lyrisme) que l’on retrouve dans « Aller/Retour ». Une revue, Miroir, donne les lignes d’inspiration de ce travail. Cette maîtrise est sensible pour « Aller-Retour », en particulier pour le temps du dialogue entre Hester et Albertus : lent, entrecoupé de silences puis, grâce à une insensible montée, plus haché et agressif. Jusqu’à ce que, l’agressivité mise à nue, seul demeure le face à face des solitudes.

Ceci est sensible dans le jeu de Fatima AÏBOUT (déjà remarquée dans La Contre-Expertise), toujours subtilement présente, du mezza voce à l’injonction véhémente quand l’ironie s’allie à la douleur. Elle reçoit ici la réplique de Paul SOKA, oeil hagard, innocent et envieux, prêt à tout pour ne rien changer. D’autant que : « Quelque chose va arriver un de ces jours, dit Hester.

- Comme quoi par exemple ?

- Comme mourir par exemple. »

Mourir ou être un autre soi-même pour une autre naissance. Une cérémonie certes, mais aussi un rituel, un exorcisme face au legs de la mémoire et du passé pour tout perdre. Et se retrouver ?


Gérard da SILVA

In Revue « MIGRATIONS » N°1192 / Novembre 1995

Kazem SHAHRYARI, Aller/Retour, L’HARMATTAN, collection « Théâtre des cinq Continents »

ART STUDIO THEATRE, avec Fatima AÏBOUT et Paul SOKA