Accueil > Kazem Shahryari > Recherches > Manifestes

Manifeste contre la peine de mort

J’ai le cœur en peine, petite, j’ai le blues,
Oui, mais je n’aurai pas toujours le blues,
Tu sais, le soleil brillera un jour
A la porte de ma cour.
Je descendrai vers la rivière,
Oui, je prendrai mon petit rocking-chair,
Dieu le sait, et que le blues me prenne alors,
Je me balancerai loin d’ici.
J’irai poser la tête... oui,
Sur un rail d’une ligne du Sud,
Je laisserai le 2 h.19, chérie,
Apaiser mon cœur.

Trouble In Mind de Big Bill BROONZY

Malheur à celui qui ne dispose ni de sa vie, ni de sa mort, malheur à l’opprimé qui désire être libre !

Le Code Noir promulgué par Louis XIV en 1685, disposait de la liberté, de la vie et de la mort en réglementant l’esclavage dans les Antilles et en Louisiane. Son article 38 proclamait : "L’esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois à compter du jour que son maître l’aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées et sera marqué d’une fleur de lis sur une épaule ; et s’il récidive une autre fois à compter pareillement du jour de la dénonciation, aura le jarret coupé et sera marqué d’une fleur de lis sur l’autre épaule, et troisième fois sera mis à mort."

Ce droit de vie et de mort qu’est l’esclavage ne sera aboli, en son principe, que par la Révolution le 4 février 1794, pour être rétabli par Bonaparte dès le 10 mai 1802 et aboli, effectivement, seulement en 1848. Il avait fallu la souffle de deux Révolutions, la raison et le cœur.

Ce droit de vie et mort que s’arroge celui qui se proclame, par l’oppression, le maître est le refus même de voir, à égalité, l’humanité dans l’ensemble des hommes et des femmes. Ce déni d’humanité laisse à l’esclave, à l’opprimé, rien d’autre que la constance de son malheur et de l’injustice faite : "Les chants de l’esclave représentent les peines de son cœur et ils les soulagent comme les larmes soulagent un cœur douloureux… pleurs de joie et chants de joie m’étaient aussi peu habituels les uns que les autres du temps où j’étais dans les griffes des l’esclavage." Ainsi s’exprimait Frédérick Douglass dans ses Mémoires publiées en 1845 après avoir fui l’esclavage en 1838. Il devint un des plus fameux animateurs de la lutte abolitionniste, en même temps qu’un fervent défenseur de l’égalité des droits pour les femmes.

Cette plainte, ces larmes d’un "cœur douloureux", on pourrait croire qu’elles ont cessé avec l’abolition de l’esclavage en 1848 pour la France, en 1865 pour les Etats-Unis. Mais, tant que subsiste le déni d’humanité, il ne peut en être question et il peut prendre la forme du racisme, de la xénophobie, de la misogynie, de l’exploitation des enfants, de l’exclusion sociale. Cela est sûr, sinon qu’il prend d’abord forme du droit de disposer de la vie et de la mort.

Lethal Romance est la mise en théâtre de ce déni d’humanité. Celui dont on dispose de la vie et de la mort se nomme Dean : "ça fait quinze ans qu’il a seize ans", qu’il attend dans le couloir de la mort. Il est noir aux Etats-Unis et fils de la violence, du racisme et de l’exclusion sociale.

Le maître est toujours là, celui qui s’arroge de disposer de la vie et de la mort. Celui qui pense être la quintessence de l’humanité, de la civilisation et qui croit qu’une sous-humanité existe puisque lui, le gouverneur de l’Etat, tout ce qu’il pense de Dean, c’est que "…une exécution avant le scrutin tomberait à pic". La vie d’un homme pour une poussée dans les sondages… Et le plaisir d’instiller dans l’esprit du condamné, année après année, qu’il n’est plus un être humain, s’il l’a jamais été : toute sa vie à être déjà mort.

L’A.S.T. depuis sa fondation en 1986 se veut "théâtre pour la vie". Déjà la pièce Parle-moi du Soleil et des Oliviers, en 1997, avait su se prolonger sous la forme d’un Manifeste contre l’ensemble du dispositif législatif xénophobe remis au Ministère de la Culture.

Avec Lethal Romance nous retrouvons le même projet artistique et social pour le théâtre. La peine de mort, le jeu de pouvoir infâme qu’elle autorise (aux autorités politiques, "scientifiques", voire "morales") est contraire à toute démocratie. Elle est le legs sordide d’une histoire d’injustice, de haine. Elle est l’hypocrisie à son summum dans ce qui se prétend civilisation et modèle de civilisation.

Des dizaines d’hommes et de femmes attendent dans le couloir de la mort. Voilà qui est intolérable. C’est pourquoi nous vous demandons de signer 1e présent Manifeste. Il demande la suppression de la peine de mort aux Etats-Unis... il demande le retour aux lois démocratiques issues d’un autre esprit... Le Manifeste sera remis à Amnesty International pour être présenté aux plus hautes instances politiques des Etats-Unis.

Ainsi retrouvons-nous Antigone. Car cette affaire de théâtre et de démocratie, de fidélité aux plus riches idéaux de l’humanité face à la haine et au mépris demeure, depuis toujours, une affaire d’amour.

Paris, le 22 Aout 2000