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Notre amour est sur la route - 1995

Le ciel bas et lourd pèse sur nos coeurs.

Chacun dans son coeur a cette humanité... chacun est humanité... tout le monde sait et personne ne veut voir...

Alors comment offrir à ce sentiment une fenêtre de liberté ?

Comment piquer de mille aiguilles cette douce tranquillité qui voile faussement notre vécu, notre condition d’homme ?


La solution est peut être là... percevoir l’universalité qui règne en nous, en maître des lieux, cette idée que toute l’humanité est tout entière comprise en un seul être...

Humanité pauvre, humanité perdue, humanité qui a soif de ce liquide bleu qui hante nos rêves, et espère se désaltérer à la source d’amour dont elle regorge sans jamais savoir comment l’exprimer.

Les hommes sont en quête d’un seul rêve, celui de retrouver cette chaleur, cette douceur qui apaise les angoisses, la peur des jours toujours plus incertains... mais le poids du vécu, ce fardeau de notre condition écrase nos frêles épaules et finit toujours par détourner le flot de nos sentiments naturels.

Décor simple d’un intérieur ouvrier, homme seul devant l’horloge de ses pensées... poids des minutes, poids des secondes qui le séparent d’un acte libérateur... pesanteur de l’avenir, métamorphose d’un passé écrasant... on ne se libère jamais... ou peut être par la folie...

La folie, Johannes se laisse doucement glisser dans ce refuge protecteur où la réalité s’échappe paisiblement de la brume de notre âme alourdie. Poids des minutes, poids des secondes, la brume est toujours là... mais une main se tend, celle d’une soeur, exilée familiale, qui quinze ans après revient vers la source... sa source.

Ne plus boire... ne plus avoir besoin de boire cette vie : un père handicapé qui lui refusa l’amour, une mère chérie qui s’éloigna. Incompréhension du rêve simple de s’entendre, de s’écouter, de s’aimer... Amour qui croule sous le poids des culpabilités, des actes manqués, des coeurs muets... Cette soeur, qui comme un raz de marée vient se cracher entre les quatre murs d’un univers trop étroit. Par cette force, elle ramène la vie que l’on croyait enfuie.

Lettre où tout est dit, qui se répand comme autant de flocons d’une vie étouffée sur le sol pauvre d’un passé sans avenir. La vérité que l’on garde pour soi, que l’on ne dévoile pas, mur du silence des sentiments, meurtre d’un enfant, message d’espoir dans les ventres creux dont on se sépare aux portes d’un monde trop gris... sentiments inavouables que cette soeur trop vivante étouffe sous l’odeur de l’argent. Billets cachés quelque part dans cette maison trop pauvre, devant jaillir soudain de la poussière du passé.

Les cartons se déballent, reliques d’un temps qu’elle voulait enterrer à jamais sous l’iceberg de ses apparences. L’odeur douce d’un foyer presque oublié reprend vie comme le froid d’un matin d’hiver qui vous glace et vous tire...Fille de joie sans joie, elle balaie d’un revers de la main toute cette poussière et la récupère ensuite grain par grain comme un trésor inestimable.

Dans cette pièce froide le quotidien de Johannes s’enfuit, meurtrier lui aussi d’un passé qu’il n’a pas choisi. Inculpé d’un futur qu’il tente de faire revivre par le portrait d’un père qui masquera toute sa vie. L’amour molesté déchire ce couple filial, les mains se tendent en un mot d’espoir mais ne se touchent pas. La réalité prend toujours le dessus, les coeurs s’éloignent, la liberté n’existe pas... Où que l’on soit, qui que l’on soit, le piège se referme.

Ce piège, c’est celui de nos vies qu’un aller simple comblerait, choix des billets qui ne nous appartient pas dans un monde où tout se joue à guichet fermé. L’amour a froid quand on ne le regarde pas, quand on ne peut poser ses yeux tendres d’insouciance d’un vécu sans faille, et quand tout défaille, le coeur vibre comme autant de cloches muettes emprisonnées au sommet des clochers de l’espoir. Loin de la légèreté des êtres, le poids du mal l’emporte et nous embrasse dans le cercle des sentiments insoumis, des engouements absents dans le vent de nos regrets.

Tempête d’amour, les volets sont clos tels des paupières fermées refusant d’admettre la vérité. Dans un monde où tout est monde, le vertige est là, qui nous surprend dans une valse infernale de cris, de vie, de douleur et de rires. Rien n’est léger, le rire n’est que folie, l’instant où l’on s’échappe de cette vie sans folies, chemin tracé sur la carte de notre ennui.

L’amour, guide espéré qui nous perd et nous détruit quand le champ des extrêmes ressert ses filets dans un cri de haine pour tout ceux qu’on n’a pas pu aimer. Vision insolite d’une photographie de deux vies que tout sépare, y compris le pont chancelant qui les relie. Le vécu cultive la différence de ces deux rivières qui, d’une même source, s’éloignent à présent dans un murmure sans accord pour ne plus jamais se rejoindre. Cette eau douce coule dans nos veines, elle nous fait vivre, elle nous fait homme, elle bouillonne quand dans l’action et dans les choix elle se déverse sur la chute de notre destin.

Destin ou hasard de naître là ou ailleurs... rien n’est écrit, mais tout se décrit sous le pinceau humide de nos rêves et de nos angoisses qui met à jour le portrait de nos illusions perdues. Quête infinie pour la vie, pour vivre même un seul instant afin qu’ensuite plus rien ne compte. On ne vit que deux fois, quand on naît et quand on voit la mort arriver.

C’est par une analyse froide et sans complaisance des comportements humains que cette pièce nous plonge dans l’insondable de notre âme. Elle laisse ensuite perler goutte à goutte la rumeur de nos sentiments inavoués. Sentiments d’une vie présente dans le coeur de ses origines, peur de ses sentiments qu’une performance d’acteur exceptionnelle renforce de ses cordes pour laisser vibrer celles qui nous attachent... Cercle d’une mise en scène qui nous entoure et nous lie à cette complainte de l’humanité. Chaque spectateur muet sent ses entrailles percées de part en part et entend ce cri de vérité jaillir.


L’humanité est en nous, l’humanité c’est nous, l’amour est sur la route...


Jean-Christophe VICTOR

décembre 1995