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L’AUTRE SANS QUI...

Rroms de théâtre

Un peuple de Promeneurs

Thomas Hahn dans Cassandre :

Comment parler de migration au théâtre ? On pourrait qualifier les pièces de Kazem Shahryari de "théâtre du déracinement".

(l’article explore en première partie la pièce "Les Noces de ferblantier" de John Millington Synge, adaptée par Xavier Marcheschi et mis en scène par Marjorie Nakache au Studio Théâtre de Stains, 19, rue Carnot)

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Kazem Shahryari connait bien les deux [migration et immigration]. Homme de théâtre d’origine iranienne, il a fondé l’Art Studio Théâtre dans le 19è arrondissement de Paris. Il s’est intéressé à l’Irlande pour Départ et Arrivée, une pièce écrite à quatre mains avec le dramaturge irlandais Dermot Bolger, une histoire de migrations croisées entre l’Europe et l’Orient.

Aujourd’hui, il vient de créer L’Automne précoce, qui débute par l’assassinat d’une « réfugiée rrom », même si elle n’a pas de présence physique sur scène. L’acte barbare est relaté par des personnages masqués, « les arbitres », « huit témoins, des spectres qui transmettent le récit d’un meurtre qui se perpétue à l’infini, jusqu’à la mort de tous les arbitres ». La pièce se déroule dans une tour de HLM. Au centre, deux femmes, à deux époques différentes, dont la jeune Leïla, qui rêve de devenir danseuse et se laisse mourir quand ses parents décident de la marier et de l’obliger à vivre « dans un pays musulman ».

Toutes les pièces de Shahryari, qui quitta l’Iran pour fuir la dictature de Komeini, traitent de migration et présentent des protagonistes déracinés. Son propre déracinement l’a-t-il conduit à écrire des pièces où s’enchevêtrent à chaque fois plusieurs fils narratifs, plusieurs cultures, époques, espaces réels et mentaux ? Il ne rejette pas l’hypothèse : « Sans aucun doute, ce n’est pas innocent. Je réfléchis entre le désir, la liberté et le devoir pour mieux dire quelles sont les incertitudes de notre époque. Obligatoirement, les migrations et l’immigration en font partie. » Face à ces clivages, Shahryari écrit non pas ici des « scènes » mais des « sutures » pour recoudre les déchirures d’un monde éclaté. Pour lui, la migration crée une « totalité qui s’impose ». On s’en sort tous ensemble ou on ne s’en sort pas. « Dans mes pièces, il ne reste qu’un peuple et tout récit n’est qu’un début. Je suis contre l’idée que dans l’art on puisse séparer l’Orient et l’Occident. Nous formons un seul corps. » D’où la proximité dans la pièce entre Leïla et Lola, « fille d’immigrés hongrois de troisième génération dont le mari s’exile au Canada. Mes histoires ne se terminent pas avec la fin de la pièce, il n’y a pas la fin heureuse que le public attend, cette fin ne viendra pas sans que le public s’engage. »

Pour une pièce précédente, Couleurs de femmes - l’été, Shahryari avait écouté une centaine de femmes lui livrer l’histoire de leur vie, dans une cité française, en Roumanie, en Hongrie et en Belgique. « J’ai interdit tout enregistrement et je ne prenais pas de notes. Je posais à ces femmes des questions très intimes. Il s’agissait de nourrir mon écriture et elles me livraient des choses qu’elles ne disent sans-doute à personne d’autre. J’ai été bouleversé par leurs souffrance. J’avais besoin d’entendre leurs accents, leurs nostalgies, peurs parcours, juste avant de m’enfermer six mois pour écrire. Parmi les personnes qui venaient vers moi en France, personne ou presque n’était franco-français depuis plusieurs générations. »

Thomas Hahn

Cassandre/Horschamp n°81 (printemps 2010)

www.horschamp.org