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Thèmes et idées dans cette pièce

J’ai entendu et j’ai lu souvent « plus jamais ça ».

Pour que « ça » ne revienne jamais, il faut deux étoiles, l’inconnue, méconnue ainsi que deux anges gardiens, l’un visible, l’autre invisible… Et aussi, deux portes toujours ouvertes, l’une pour entrer, l’autre pour sortir…Et surtout ne jamais annoncer la porte par laquelle vous entrerez, ni la porte par laquelle vous sortirez, car il n’y a pas plus sourde que l’histoire et plus encombrante que la mémoire…

DIALOGUES

Quel est le thème de la pièce ?

- Est-ce la guerre, est-ce l’extermination, est-ce la résistance, est-ce la survie, est-ce le crime, est-ce le sacrifice, est-ce l’amour, ? En tout cas une chose est sûre : l’humanité peut se nuire à elle-même si elle perd le sens de sa mémoire. Mais la mémoire, l’histoire, on peut l’accommoder comme on veut. Alors il est préférable de parler de conscience. On pourrait dire que le thème de la pièce, c’est la conscience.

L’idée de départ était de faire une pièce brechtienne à travers la pièce de BRECHT « Grand peur et Misère du IIIème Reich ».

C’est quoi l’idée brechtienne ?

- BRECHT est, à la fois, un homme engagé qui a une conviction politique dans l’art et, à la fois, un homme de théâtre avec une conviction poétique. Dans son parcours artistique, il apporte la nouveauté, invente de nouvelles formes dans la dramaturgie et dans la création tout en gardant son engagement profond envers son esprit, sa pensée. BRECHT qui n’a jamais été BRECHTIEN mais la source nous dévoile une nouvelle facette du sens. Il nous offre la liberté de réagir encore autrement et encore autrement.
Gérard ASTOR, directeur du théâtre Jean Vilar, également intéressé par cet aspect de la rencontre dramatique avec le monde, m’a demandé d’écrire une pièce.

L’idée n’est pas de refaire du BRECHT. Quelque 50 ans me séparent de BRECHT. Je suis né alors qu’il mourait. L’idée est de composer quelque chose de nouveau et de se nouer avec cette nouveauté.
Le théâtre brechtien, c’est un terrain sur lequel tout arbre ne pousse pas, mais les arbres qui y poussent s’en nourrissent. Il faut inventer ou greffer des arbres qui soient inhabituels pour ne pas dire rares.
Je ne connaissais pas l’histoire de la guerre 39-45 comme je la connais aujourd’hui grâce à ce travail. Je pensais la connaître en tant qu’intellectuel qui a lu plusieurs livres sur le sujet. Mais je n’avais pas épluché l’époque avec finesse, à travers des photos, des films, des témoignages de déportés, de résistants et les récits de criminels…

Ce qui m’intéressait, ce n’était pas ce que BRECHT avait dit mais ce qu’il n’avait pas dit et que je sais aujourd’hui, non pas parce que je suis intelligent, mais parce que l’histoire est ainsi. Mon enfant, naturellement, saura plus que moi, s’il prend le même chemin que moi. Il saura plus que moi, sans faire un effort.

BRECHT, c’est notre héritage. On peut le dépenser comme on veut. Mon idée est de refaire BRECHT, qui lui-même a réécrit plusieurs auteurs… comme il l’entendait.
D’après moi, chaque auteur peut reprendre les auteurs du passé. S’il dépense cet héritage, ce n’est pas bien grave, on peut retourner à l’œuvre originale. Si, de BRECHT et moi, quelqu’un avait besoin de l’autre, ce serait moi qui aurais besoin de lui et pas lui de moi.
Par contre, si l’œuvre nouvelle qui émerge porte dans son essence une qualité artistique qui entrouvre de nouvelles brèches à la lecture universelle de l’homme, si elle a un effet contre la dégénérescence de la culture, et bien les générations à venir en tiendront compte.

Pour vivre, la culture aussi a besoin des enfants. Il ne s’agit pas de garder un vieillard éternellement vivant, mais de faire naître un enfant qui garde, de l’ancien, son essence.
J’ai un enfant. Quand il aura 40 ans, je serai mort. Je ne lui en veux pas pour cela. C’est naturel. De cette normalité, découlent mon droit et mon devoir de lui transmettre tout ce que j’ai décodé de ce qu’on m’a transmis et tout ce que j’ai subi et inventé depuis.

L’humanité ce n’est pas un individu, c’est la totalité du parcours de tous les hommes à ce jour jusqu’à l’anéantissement de cette humanité.

C’est tout cela qui hante un auteur pour créer un nouveau spectacle.
Je ne veux pas seulement m’attaquer à l’association criminelle hitlérienne et tout ce qui en découle. Mais j’aimerais inventer un spectacle sur la naissance du nouveau.

Chaque auteur a ses filtres : certains sont plus ou moins fins, plus ou moins portés sur les images, plus ou moins poètes, plus ou moins sensibles à l’affectif…
L’idée est que BRECHT soit présent, que l’Allemagne soit présente à travers mon parcours artistique. Il ne s’agit pas de faire un documentaire sur l’Allemagne. C’est l’Allemagne à travers mes filtres.
Cette pièce, c’est « Grand peur et Misère du IIIème Reich » à travers mes filtres d’auteur.

BRECHT a écrit des anecdotes sur le quotidien du peuple allemand (dans une usine, une maison, un tribunal…), ce qui se passe en ville à l’époque du IIIème Reich.
Moi, j’essaie d’écrire une histoire qui se déroule dans un camp d’extermination à la même époque et qui me hante aujourd’hui.
La peur, la misère, la résistance, la survie trouvent sur leur chemin l’amour.