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Trio efficace pour loufoquerie amère

Deux heures du mat, un snack-bar de banlieue "Au petit paradis"... Un paradis, tu parles ! Quelques tabourets devant un comptoir surplombé d’un petit auvent jaunâtre, une terrasse en bois entourée de grillages, des palissades couvertes de graffiti, de tags et d’affiches, un téléphone publique...

Pas un chat. En bruit de fond, une petite télévision distille le programme insipide de la nuit en noir et blanc. OMID, le cuisinier du snack, achève tranquillement sa journée. Son coeur est à la joie : il pousse la chansonnette et esquisse quelques pas de danse, demain il part en vacances... Voilà que débarquent avec tonitruance deux individus : DAVID, en état d’ébriété avancé, et THOMAS, son copain, blessé, assis sur un chariot.

Spectateurs voyeurs, nous assistons, à travers le grillage, en temps réel, au face à face inattendu de ces trois personnages : DAVID, odieux et vulgaire, future vedette de cinéma, THOMAS, personnage en décalage, naïf et "gentil", avec ses lunettes à montures noires passées de mode et ses médicaments qu’il a oubliés, et puis, OMID, l’étranger, qui voudrait bien, le pauvre, fermer le snack tranquillement...

Dans une sobriété scénographique, l’auteur et le metteur en scène de la pièce, Kazem SHAHRYARI, nous abandonne sur le territoire de la loufoquerie amère de la vie... Emportés par la connivence hilarante, l’impuissance émouvante, la violence et les soubresauts révoltés de ses personnages aux dialogues drôles, incisifs, crus et poétiques jusqu’à l’écoeurement du revirement final où THOMAS commet l’irréparable, par une nuit sans voie lactée et parce qu’il bénéficie de toutes les circontances atténuantes, nous assistons au sacrifice de l’homme sur l’autel de l’inconscience, de la bêtise et de la lâcheté.

Saluons le talent indéniable des trois interprètes sur lequel repose la réussite du spectacle, vu l’économie de moyens scéniques caractéristique du travail de Kazem SHAHRYARI.

Ici, l’auteur et metteur en scène, est également acteur et ceci à notre plus grand bonheur. Kazem SHAHRYARI porte à bout de bras sa pièce et trouve la liberté des grands acteurs pour donner vie à l’insupportable DAVID. Paul SOKA, est surprenant de drôlerie dans le personnage coincé de THOMAS. Yannig SAMOT, lui, est porteur d’une grande émotion pour restituer le poids de la fatalité qui pousse OMID dans un cul de sac.

On sort conquis. Le coeur et la tête complètement chavirés par le voyage, on se surprend à contempler le ciel à la recherche de la voie lactée...

Isabelle RENSON