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Manifeste pour la création

Les Immigrés

Du 2 mai au 28 juin 1997

Parle-moi du soleil et des oliviers

à l’Art Studio Théâtre

« Je ne sais partager que l’amour, non la haine », ainsi parle Antigone depuis toujours.

C’est la raison d’être du théâtre, de la poésie, de l’art qui est ainsi, depuis toujours, énoncée. Dans les moments historiques difficiles vient inévitablement le moment où, par l’art, nous tentons d’échapper à l’injustice du présent. Le théâtre est là pour permettre à la communauté humaine de se vivre en tant que telle et, si les valeurs d’égalité, de liberté et de fraternité sont remises en cause, pour qu’elles puissent vivre par lui, plus que jamais.

Le théâtre est un rêve face au miroir de l’époque et il est miroir d’une époque, d’une vie, du moment d’un être vivant, du moment d’une rencontre. Faire vivre un lieu théâtral, c’est installer un miroir et le nettoyer, d’œuvres en oeuvres, chaque jour pour que les spectateurs-citoyens puissent passer devant, s’arrêter, face à eux-mêmes, un instant.

Tel est l’objectif de l’AST depuis 1986, telle est sa raison d’être depuis 1993 avec la mise en place d’un véritable lieu théâtral, « d’un théâtre pour la vie », au cœur de ce 19ème arrondissement, lieu de haute mémoire populaire où se sont toujours retrouvés en harmonie peuples et cultures les plus divers. L’AST vit en étant ce miroir avec des pièces librement adaptées ou des créations originales : Contre-expertise d’un conte, Aller-Retour, Sans la voie lactée.

Tel est le sens de la pièce, Les immigrés..., que vous venez de voir, à laquelle vous venez de participer. Elle dit combien nous devons nous défier des mille figures, des renaissances permanentes de la « bête immonde », du racisme, de la xénophobie qui accompagnent l’insupportable cortège de l’injustice. Nous avons vu la « bête » à Châteauvallon. Depuis deux décennies nous la voyons prétendre au visage de la Loi par des remises en cause successives du statut des Etrangers. Cette fracture-là est aussi morale que sociale, la promouvoir est une erreur historique et éthique.

Face à cette dramatique remise en cause, le théâtre, ceux qui le servent, se trahiraient en ne signifiant pas, dans les écrits et dans les actes, que la « haine » doit être combattue. C’est, d’évidence, la raison de vivre de lieux de théâtre comme celui de l’AST, si proche par vocation d’être le « miroir » des drames les plus cruciaux, les plus douloureux de notre société. De tels spectacles vivants, aussi rares que nécessaires, doivent recevoir la reconnaissance et le soutien des autorités, en particulier pour des structures qui proposent, sans investissements forts, un travail continu, un véritable projet artistique et social pour le théâtre.

En cet esprit nous vous demandons de signer 1e présent Manifeste . Il demande une défense de la vocation théâtrale la plus proche de tous, que l’AST s’est toujours engagé à faire vivre. Il demande, dans le même esprit, la suppression de l’ensemble du dispositif législatif xénophobe, qui, par les obstacles qu’il fabrique, privilégie plus l’exclusion que l’intégration, il demande le retour aux lois démocratiques issues d’un autre esprit, celui de la Résistance. Le Manifeste sera remis au Ministre de la Culture qui représente l’autorité de tutelle et se doit d’encourager les voix les plus exigeantes. Ainsi retrouvons-nous Antigone. Car cette affaire de théâtre et de démocratie, de fidélité aux plus riches idéaux de l’humanité face à la haine et au mépris demeure, depuis toujours, une affaire d’amour.

Paris, premier mai 1997